Slums!
d’après Mike Davis

 

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Le sentiment d’effroi que l’on peut éprouver à lire Planet of Slums ne débouche en réalité ni sur un sentiment d’impuissance, ni sur une contemplation compassionnelle de la marche dangereuse de l’humanité. Les textes de Mike Davis, s’ils n’éludent jamais les violences du monde, cherchent constamment à repérer les sources d’énergies qui les produisent, pour en démonter les mécanismes, voire en détourner ou retourner la puissance (…). Il dessine une apocalypse uniquement dans le sens où sa façon de dévoiler nous laisse sans repos, mais pas sans espoir.

Vacarme 46 / Un entretien avec Mike Davis


Un milliard de personnes dans le monde survivent dans les « slums » – les bidonvilles, en français, mais le terme vulgaire anglais induit la saleté et la criminalité.

C’est certainement le problème le plus important et le plus explosif de ce siècle qui commence …

Et ce monde des « slums » engendre une autre humanité, que l’on peut affronter de très près, et questionner … de très loin. Mais pour ma part, après avoir approché la misère extrême – je l’avoue pas bien longtemps -, je n’ai plus jamais cessé d’y penser. Et d’y penser avec l’aide d’une œuvre comme celle de Mike Davis.

Car je me suis retrouvé « étranger dans un monde commun »*.

Avec la nécessité de partager, au théâtre, ce monde incroyable des « slums », ce monde où souvent le réel devient fiction : où les enfants se racontent des histoires terribles d’une incroyable drôlerie et où la violence se résout auprès des églises charismatiques. Où « le politique » – du moins, tel pensé en occident -, n’a plus aucun sens face à « la politique ». Où la mort est tellement présente que l’on imagine la croiser la nuit. Où la vie est tout simplement insensée.

Un monde commun et une autre humanité, incompréhensible, en ce nouveau siècle, à moins d’accepter la folie des hommes …

Slums !

Slums ! Version frontale sans tragique du projet d’installation Planet of Slums, est proposée volontairement aux « adolescents », et pas seulement parce que le terme a un goût (amer) de chewing-gum, mais parce que ce sujet me semble être destiné en priorité à des personnes pas encore entrées dans l’âge adulte – des adultes qui ont peut être la mâchoire collée et ne souhaitent pas entendre parler de ce problème mondial, et pourtant …

Le monde des slums est aussi un monde très jeune – l’espérance de vie est bien souvent proche de d’une trentaine d’année à certains endroits -, et la majorité des personnes qui survivent sont des enfants, des adolescents. C’est un reflet terrible de voir que ce qui fonde l’espérance de toute société humaine puisse se perdre à ce point dans la misère. A révéler, à des adolescents souvent fascinés par une violence suspecte, en particulier télévisuelle, mais qui n’imaginent pas ce milliard de gens qui vivent dans un total dénuement, abandonnés.

Slums ! C’est aussi une étonnante invitation à voyager, souvent avec drôlerie, dans le monde entier … et en musique !

Un voyage dans un monde à la limite extrême de la fiction, comme si Borgès avait renommé des villes imaginaires, mégalopoles fantômes, mais pourtant bien réelles – ainsi la célèbre Cité des morts au Caire -, et inventé des histoires de vie et de mort totalement invraisemblables, comme celles de l’article Les petits sorciers de Kinshasa (présenté ci-après).

Des histoires pour rire et pleurer … dans un spectacle « radical, édifiant, contestable et stimulant », de la même manière qu’est décrite la pensée inclassable de Mike Davis.

Thierry Bedard

* Un anthropologue français, Michel Agier a écrit un document exceptionnel intitulé Le couloir des exilés, sous-titré Etre étranger dans un monde commun … ou il s’agit « de prolonger son engagement lucide dans la description et la construction d’un monde commun ». J’inverse la proposition, car à fréquenter le monde des exilés, l’on se retrouve soi-même vite étranger à notre propre monde.

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EXTRAIT

Avec une authentique « grande muraille » de contrôle des frontières high-tech empêchant toute migration massive vers les pays riches, les slums demeurent la seule solution réellement accessible au problème du stockage du surplus de l’humanité de ce siècle. La population des slums croît actuellement au rythme étourdissant de 25 millions de nouveaux résidents par an. Et les nouveaux arrivants sur les franges urbaines sont confrontés à une condition existentielle que l’on ne saurait mieux décrire que comme « une marginalité dans la marginalité », ou, pour reprendre une expression plus violente d’un habitant désespéré d’un bidonville de Bagdad, comme d’une « demi-mort ». De fait, la pauvreté dans un univers humain sordide largement déconnecté des solidarités de subsistances de la campagne et de la vie culturelle et politique de la cité traditionnelle, est le nouveau visage radical de l’inégalité.

Mais les pauvres ne finiront-ils pas par se révolter ?

Les grands bidonvilles ne sont-ils pas tout simplement des endroits prêts à exploser ? Ou est-ce que l’impitoyable concurrence darwnienne – à mesure qu’un nombre toujours plus grand de pauvres continue à se battre pour les mêmes miettes informelles – finira au contraire par donner naissance à une violence communautaire autodestructrice, forme ultime de « l’involution urbaine » ?

Au sein d’une même ville, les habitants des slums peuvent être soumis à une incroyable variété de réaction à la désaffection structurelle et à la privation, qui vont des églises charismatiques aux mouvements sociaux révolutionnaires en passant par les milices ethniques, les gangs de rues, les cultes prophétiques et les ONG néolibérales. Mais si le bidonville planétaire n’est pas un sujet monolithique et ne présente aucune tendance unilatérale, il est néanmoins le lieu d’une myriade d’actes de résistance. De fait l’avenir de la solidarité humaine dépend aujourd’hui du refus militant qu’opposent les urbains pauvres à leur marginalité mortelle dans le capitalisme mondial.

Ce refus peut prendre des formes archaïques aussi bien qu’avant-gardistes : un rejet de la modernité ou une tentative pour en ranimer les promesses étouffées. Nul ne devrait s’étonner que certains jeunes pauvres des banlieues d’Alger, du Caire, de Casablanca ou voir même de Paris adoptent le nihilisme religieux du salafisme dijhadiste et applaudissent au spectacle de la destruction des symboles les plus ostentatoires d’une modernité qui leur est étrangère. Ou que des millions d’autres s’adonnent aux économies urbaines de subsistances des gangs de rues, narcotrafiquants, milices et autres organisations politiques sectaires … Les rhétoriques de diabolisations des diverses « guerres » internationales – contre le terrorisme, la drogue, la criminalité – ne font que créer un apartheid sémantique : elle dressent des remparts épistémologiques autour des gecekondus, favelas et autres chawls, qui minent toute possibilité de débat honnête sur la question de la violence quotidienne de l’exclusion économique.

Et, comme à l’époque victorienne, la criminalisation radicale des urbains pauvres est une prophétie qui porte en elle-même les germes de son accomplissement, qui prépare de manière certaine un avenir de guerre urbaine incessante …

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Slums ! C’est un spectacle musical présenté dans un espace grillagé assez inquiétant, qui se révèle peu à peu être une sorte de planisphère strié de pointes de lumière, cartographié de tâches de couleur plastiques, un espace industriel, et d’une certaine manière « américanisé ». Un atelier de tous les dangers …

C’est aussi un spectacle où l’on entend, d’une manière fragmentaire, des descriptions courtes de certains Slums (bidonvilles) du monde entier, et le monde de leur « socialité ». Des histoires édifiantes, des histoires amusantes. Et quelques commentaires politiques …

L’ensemble est composé avec une structure sonore extrêmement « sensible », de voix et musicalité sourde et oppressante, et relayé, par contre, en trois/quatre mouvements par des chansons sur le sujet, des Sonic Youth, Fugazi et autres. De l’émotion. Avec un son « rock », porté par les seules guitares de Rija Randrianivosoa ou Jean Grillet et la voix “soul” de Mélanie Menu.

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DISTRIBUTION

Mise en scène Thierry Bedard

Jeu Melanie Menu et Jean Grillet

Arrangements musicaux Rija Randrianivosoa

Régie générale Camille Mauplot

Scénographie avec la complicité de Marc Lainé

Assistante à la mise en scène Tünde Deak


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BONUS

{> télécharger le dossier en pdf

{> biographie de Mike Davis

{> les petits sorciers de Kinshasa

{> entretien avec Thierry Bedard sur le cycle notoire la menace